Textes choisis d'Olympe de Gouges

Écrits politiques

C'est à vous, Français que j'écris. C'est à vous que je soumets mes observations. L'homme est sans doute l'être le plus indéfinissable. Supérieur à tous les autres animaux par son intelligence, sa raison et la faculté qu'il a détendre ses lumières, il est cependant plus insensé et moins humains que les brutes.

Lettre au peuple, 1788


Le bien est-il si difficile à faire ? Oui, sans doute, les Parlements et le souverain en sont la triste expérience ; mais je l'ai dit, que le roi et les parlements ne forment qu'un cœur, et l'âme de la patrie se signalera. Et pour mieux vous toucher de cette vérité, puissances supérieures aux peuples, considérez le tableau effrayant que je vais retracer à vos yeux du plus grand nombre des citoyens. Le commerce est écrasé, une quantité innombrable d'ouvriers sont sans état et sans pain, que deviennent-ils ? Pourriez-vous en rendre compte sans frémir ? Tout est arrêté, le riche impitoyable cache son argent ; vil instrument de sa cupidité, peut-il prolonger les jours, peut-il les rendre plus heureux ? Ces trésors dans l'inaction, quel bien peuvent-ils faire à personne ? Quel est donc ce moyen que je trouverai convenable à libérer les dettes de l'état ? Ce serait, il me semble, un impôt volontaire, dont la nation s'applaudirait ; et cette action mémorable du cœur français passerait à la postérité, et formerait l'époque la plus singulière et la plus remarquable des annales de la monarchie... Souvent les moyens les plus simples ont produit de grands effets ; craindraient-ont de les employer, parce qu'ils sont faciles ? Craindraient-on de les mettre à exécution, parce que c'est une femme qui les propose ? 

Remarques patriotiques, 1788


Le luxe : c'est un genre de mal qui ne se doit guérir que de lui-même (...) Je voudrais que l'on mît, par exemple, un impôt utile sur les bijoux comme sur les modes qui se multiplient du matin au soir, et du soir au matin. Un impôt encore aussi sage qu'utile, serait celui qu'on pourrait créer sur la servitude : plus un maître aurait de valets, plus son impôt serait fort. On devrait encore créer un impôt sur le nombre des chevaux, des voitures, des chiffres et armoiries (...) Un impôt qui est très-visible et qu'on n'a pas encore aperçu, c'est celui qu'on pourrait mettre sur tous les jeux de Paris, comme Académies, Maisons particulières, Palais des Prince et Seigneurs. Si on voulait encore asseoir un impôt sur la peinture et sculpture, il ne serait pas si déplacé. Le peuple ne se fait ni peindre, ni sculpter, ni décorer ses appartements (…) Sans notions de géométrie et de finances, j'ose garantir, par mon plan, la dette nationale acquittée avant cinq ans révolus, et l'effet fera reconnaître ce que j'avance ici. Il est reconnu que le luxe, chez tous les Peuples et dans tous les temps, a entraîné la décadence des États, la force et le courage des hommes.

Remarques patriotiques, 1788


Les plus extravagants assurent que mes ouvrages ne m’appartiennent pas, et que j’ai le sot orgueil de me parer des plumes du paon, qu’il y a trop d’énergie et de connaissance des lois dans mes écrits, pour qu’ils soient le travail d’une femme.

Avis pressant, ou réponse à mes calomniateurs, 1789


Voter par ordre ou par tête, voilà la grande question. Qu'importe au roi, qu'importe au citoyen affligé, qu'importe au peuple malheureux qu'on délibère par tête ou par ordre. Eh ! Messieurs, délibérez comme vous le jugerez à propos, en particulier, en commun, ou de toutes les manières, délibérez enfin sur les intérêts publics, et vous délibérerez ensuite sur vos prétentieux particulières.

Discours de l'aveugle aux français, 1789


J'espère qu'un jour, les femmes pourront échapper aux horreurs de la misère par les récompenses qui sont dues aux talents. Et j'ose avancer, qu'en élevant leur sexe, on restaurera en même temps les mœurs. (...) je n'imite personne ; personne ne développe ses sentiments avec autant de sincérité. Si elle me nuit aujourd'hui, un jour peut-être mes contemporains citeront quelques vérités de mes faibles écrits. En ce moment, on dédaigne les projets d'une femme ; cependant j'éprouve la douce satisfaction de voir, que l'on en adopte quelques-uns ; mais j'ai la douleur, en même temps, de reconnaître, que ce sont ceux qui se trouvent dans les écrits où je ne me suis point nommée, tant la prévention contre mon sexe influe sur le jugement des hommes.

Les songes patriotiques, 1789


Les uns veulent cependant que je sois aristocrate, les aristocrates prétendent que je suis démocrate. Je me trouve réduite comme ce pauvre agonisant à qui un prêtre rigoureux demandait à son dernier soupir : « êtes-vous moliniste ou janséniste ? Hélas répondit le moribond, je suis ébéniste ». Comme lui je ne connais aucun parti. Le seul qui m'intéresse vivement est celui de ma patrie, de la France, de mon pays enfin ; oui, Messieurs, je vous déclare que, quoique privée des connaissances qui pouvaient seules justifier la hardiesse que j'aie eu d'écrire sur cette matière, je n'ai pas vu avec indifférence le bouleversement du royaume.

Lettre aux représentants de la Nation, 1789


Pour écrire sur la politique, il faut, dit-on, être plus instruite que moi. Je le sais, et j'en conviens moi-même ; cependant les plus savants s'y trompent quelquefois ; c'est une mer orageuse ; et combien de naufrages n'y a-t-on pas fait, même à l'assemblée nationale ?

Adieux aux Français, 1790


L'assemblée nationale, où quelques uns de ses honorables membres, opinent, m'a-t-on dit, que je suis folle ; qu'ils me prouvent qu'ils sont plus raisonnables que moi. Me voilà à la barre : quels sont vos preuves d'aristocratie, me demande le président ? Mon esclavage des noirs, publié en 1784, qui peignait à la fois les fers des français, et ceux des noirs de l’Amérique. Ma caisse patriotique en 1788. Mes vues de bienfaisance en faveur des malheureux, pendant le grand hiver, l'établissement des ateliers publics, la responsabilité des ministres, etc, etc...les principes d'égalité, de justice et d'humanité, dont la constitution m'est redevable. Voilà ma véritable aristocratie.

Repentir de Mme de Gouges, 1791


Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la Nation, demandent d'être constituées en Assemblée nationale. Considérant que l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de la femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d'exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de la femme (...) En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage dans les souffrances maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les droits suivants de la femme et de la citoyenne. Art 1 : la femme naît libre et demeure égale à l'homme en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. Art 10 : nul ne doit être inquiété pour ses opinions mêmes fondamentales, la femme a le droit de monter sur l'échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la tribune. Art 16 : toute société, dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée, n'a point de constitution ; la constitution est nulle, si la majorité des individus qui composent la nation, n'a pas coopéré à sa rédaction.

Les droits de la femme, 1791


Quelque soit l'esprit du gouvernement que les français adopteront, pourvu qu'il soit sage et avantageux pour tous les citoyens, je l'approuverais d'avance, fût-il un gouvernement républicain ; mais il est temps de sortir de cette cruelle indécision, de cette position pénible où nous sommes enterrés ; il est temps de donner un mouvement à la constitution que je considère comme un superbe vaisseau que d'habiles artistes ont construit, pour résister à la tempête et lutter contre les écueils les plus dangereux ; enfin, lancé au port, il n'attend plus que le beau temps pour déployer ses voiles et voguer sur le vaste océan ; le ciel est serein, la mer est calme, les voyageurs impatients font lever l'ancre ; mais une rixe s'élève entre les pilotes et les matelots sur la direction du navire ; les uns parlent de mettre à la voile, les autres de mettre un embargo ; la dispute s'engage, elle devient sérieuse, le vaisseau languit, et la cargaison la plus précieuse dépérit. Les uns veulent le diriger vers l'occident, les autres vers l'orient ; le temps s'écoule en vaines discussions, l'horizon se couvre de nuages, la tempête, les éclairs, les tonnerres grondent de toutes parts, les flots s'agitent, et le vaisseau les plus solide est prêt à faire naufrage dans le port. Voilà le portrait le plus fidèle de la constitution.

Le bon sens français, 1792


Qu'aux accents de ma voix la terre se réveille ! Rois, soyez attentifs : peuples, ouvrez l'oreille ! La terre frémit, tremble, s'entrouvre, et la voix formidable se fait entendre aux humains. Jacobins, feuillants, qui êtes-vous ? Que faites-vous ? Que cherchez-vous ? M'abreuver du sang des hommes, corrompre l'air pur et la rosée du ciel, qui peuvent seuls maintenir mes forces, pour porter les mortels. Jacobins, feuillants, êtes-vous des hommes ou des brutes ? Si vous êtes des êtres doués de facultés intellectuelles, répondez-moi. Pourquoi soufflez-vous le feu de la discorde ? Quels sont les citoyens que vous divisez ? Quel est le royaume que vous voulez renverser ? C'est votre patrie ! Vous ne concevez donc pas, dans ce moment décisif, les vrais intérêts d'un grand peuple ? Vous n'êtes pas des êtres pensants ? Si vous n'êtes que des bêtes fauves, fuyez dans les déserts de l’Arabie, allez traîner votre âpre existence dans les sables brûlants, parmi les lions, les tigres ; allez lutter avec ces animaux dévorants, déchirez-vous mutuellement le sein, et cessez d'infecter les hommes de votre affreuse doctrine.

Grande éclipse du soleil jacobiniste et de la lune feuillantine, 1792


Eh ! Que diraient les peuples à venir si, dans le siècle des Lumières, de l'Humanité et de la saine Philosophie, les français se souillaient de forfaits qui n'ont pu se commettre que dans les temps de la plus ignorante, de la vile barbarie.

Aux Fédérés, 1792


Le sang, disent les féroces agitateurs, fait les révolutions. Le sang même des coupables, versé avec profusion et cruauté, souille éternellement ces révolutions, bouleverse tout à coup les cœurs, les esprits, les opinions ; et d'un système de gouvernement, on passe rapidement dans un autre.

Le cri de l'innocence, 1792


Robespierre, tu viens de m'édifier ; tu nous apprend que tu as renoncé à la juste vengeance du droit que tu as de l'obtenir contre tes accusateurs. Tu ne demandes que le retour de la paix, l'oubli des haines particulières et le maintien de la liberté. Quelle subite métamorphose ! Toi, désintéressé ; toi, philosophe ; toi, ami de tes concitoyens, de la paix et de l'ordre ? Je pourrais te citer cette maxime, quand un méchant fait le bien, il prépare de grands maux ; on a de la peine à supporter cette conversion subite ; cette ritournelle de ton ambition semble nous préparer une musique lugubre. Je puis me tromper ; pardonne-moi : j'ai le fanatisme de l'amour de ma patrie, comme tu possèdes celui d'une ambition particulière. Tu peux avoir servi la révolution, j'en suis convenue moi-même ; mais tes excès, en ont effacé, dans tous les cœurs la reconnaissance... Voyons, Robespierre, tiens-nous parole, délivre ton pays. S'il ne faut que ma vie pour t'y encourager, je suis prête à la donner à ma patrie. Pour moi, je te l'avoue, je suis avare du sang de mes concitoyens ; mais, s'il ne faut verser que le mien pour les sauver, je saurai le répandre. Robespierre ! Auras-tu à ton tour le courage de m'imiter ? Je te propose de prendre avec moi un bain de la seine ; mais pour te laver entièrement des tâches dont tu t'es couvert depuis le 10 : nous attacherons des boulets de seize ou de vingt-quatre à nos pieds, et nous nous précipiterons ensemble dans les flots. Ta mort calmera les esprits, et le sacrifice d'une vie pure désarmera le ciel.

Réponse à la justification de Maximilien Robespierre par Olympe de Gouges, 1792


Oui, mes amis, je vais, à mon grand regret, vous satisfaire ; je quitte la carrière épineuse, et ruineuse, dans laquelle mon patriotisme, votre aimable égoïsme, vos gentillesses anthropophages, vos galantes scélératesses, qui ne tendaient à rien moins qu'à me faire égorger par vos généreux satellites, m'ont engagée plus longtemps que je l'aurai désiré pour mes intérêts et pour la gloire de vos entreprises... Oui, mes chers amis, vous voilà délivrés d'un observateur intègre, d'une sentinelle surveillante, et ce qui pouvait être pour vous plus dangereux, d'une âme désintéressée et aussi fière que libre, et indépendante... Je n'ai recherché ni rang, ni place ; je ne pouvais avoir l'extravagance d'y prétendre ; un préjugé inique m'éloignait à cet égard de toutes prétentions ; mais le préjugé, qui n'a rien de commun avec les éternelles vérités de la morale, m'assure que mon nom vivra tout entier dans la postérité.

Mon dernier mot à mes chers amis, 1792


Montagne, Plaine, Rolandiste, Brissotins, Girondistes, Robespierrots, Maratistes, disparaissez ; épithètes infâmes ! Disparaissez à jamais, et que les noms de législateurs, de frères vous remplacent pour le bonheur du peuple, pour la tranquillité sociale et pour le triomphe de la patrie.

Avis pressant à la Convention par une vraie républicaine, 1793


O divine providence ! Toi qui dirigeas toujours mes actions, je n'invoque que toi seule ; les hommes ne sont plus en état de m'entendre. Dispose de mes jours, accélères-en le terme. Mes yeux fatigués du douloureux spectacle de leurs dissensions, de leurs trames criminelles, n'en peuvent plus soutenir l'horreur... J'ai tout prévu, je sais que ma mort est inévitable... Je lègue mon cœur à la patrie, ma probité aux hommes (ils en ont besoin). Mon âme aux femmes, je ne leur fais pas un don indifférent ; mon génie créateur aux auteurs dramatiques, il ne leur sera pas inutile ; mon désintéressement aux ambitieux, ma philosophie aux persécutés, mon esprit aux fanatiques, ma religion aux athées, ma gaieté franche aux femmes sur le retour, et tous les pauvres débris qui me restent d'une fortune honnête, à mon héritier naturel, à mon fils, s'il me survit.

Testament politique d'Olympe de Gouges, 1793


Et vous, Magistrats qui allez me juger, apprenez à me connaître ! Ennemie de l’intrigue, loin des systèmes, des partis qui ont divisé la France au milieu du choc des passions, je me suis frayée une route nouvelle, je n’ai vu que d’après mes yeux ; je n’ai servi mon pays que d’après mon âme ; j’ai bravé les sots ; j’ai frondé les méchants et j’ai sacrifié ma fortune entière à la révolution.

Olympe de gouges au tribunal révolutionnaire, 1793

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