Poèmes choisis d'Hélène Picard

L’Ardèche

Le paysage est tout de pierre et de lumière…
C’est le bloc du granit sous le flot de l’azur…
Un olivier finit l’horizon sec et pur,
Un lis rouge suinte au creux d’une carrière…

Au roc inexorable et debout comme un mur
Où de cigales d’or vibre la ronce entière,
L’Ardéchois, tous les jours, montera la rivière,
Ses deux cruches au dos, d’un pas pénible et sûr…

Roc maudit, il te fait un été plein d’abeilles,
Et ton vieux cœur s’épand parmi les jeunes treilles,
La promesse du pain dort dans ton blé vermeil…

Oh ! la moisson, là-haut, par les monts, près des nues !...
L’homme met sur le ciel ses faucilles si nues
Où tu flambes et ris, cruauté du soleil !...

Petite ville... Beau Pays, 1907


Pénétration

J’aurai goûté vos yeux, votre front, votre main
Plus que je n’ai goûté l’eau limpide et le pain,
Votre bouche m’aura pour toujours abreuvée,
Votre âme je l’aurai tout entière rêvée,
Je vous ai convoité comme on convoite l’or,
Je vous ai possédé comme on étreint la mort,
Je vous ai parcouru comme une route neuve,
Vous avez ondoyé dans mes bras comme un fleuve,
J’ai chargé votre front de toute la beauté,
Je n’ai plus su qu’en vous recueillir la clarté.
...

L'Instant éternel, 1907


Hymne au bien-aimé

Ô jeune corps de joie où la splendeur circule,
Je te glorifierai dans la vague du blé,
Dans les grands horizons, lorsque le crépuscule
Ouvre une route bleue au silence étoilé.

Ô jeune fleur de vie, ô chair pure et sacrée,
Ô corps du bien-aimé, je te louerai le jour,
Lorsque la terre boit la lumière dorée,
Quand le soleil est beau comme un rire d’amour.

Je te retrouverai dans les vignes ardentes,
Dans la mûre si lourde aux doigts de la chaleur,
Dans le parfum du foin et des roses brûlantes,
Et dans le tiède sol et dans les fruits en fleur.

Je te désirerai dans les plantes de l’ombre,
e te savourerai dans le pain du matin,
Je boirai ta douceur au cœur de la nuit sombre,
Et, dans le fleuve beau, je verrai ton destin.
...

L'Instant éternel, 1907


La bonne joie

Souvent, je m’attendris, vraiment, jusqu’à pleurer
En m’imaginant nue et dans sa stricte vie,
Votre chair jeune et douce et j’éprouve l’envie,
Les sens calmes et purs, d’aller la respirer.

C’est puissant, c’est divin, c’est neuf… Je m’extasie…
Quoi! vous avez un cœur dans votre cher côté,
Un cœur de tiède sang, de force et de santé,
Un cœur qui bat, profond, à la place choisie?

J’adore votre forme exacte et son contour,
L’éclat matériel de votre belle lèvre,
Votre vigueur qui monte et vous fait de la fièvre
Et précipite en vous le besoin de l’amour.
...

L'Instant éternel, 1907


…Verse à mes pieds toute ta peine.
Parce que tu voulus goûter les pleurs humains,
N’en reste pas moins pure, ô pauvre femme humaine !

Je sais combien, hélas ! tes instants furent fous;
Mais tu gagnes ma paix après autant d’alarmes.
Tu pleures... J’ai tes pleurs coupables...
Je t’absous, Ô pauvre femme triste, avec ces mêmes larmes !...

Apprends à devenir bien digne de la Mort,
À marcher lentement quand le chemin dévie...
Ah ! lorsque l’âme sait sanctifier son sort,
Le visage est si beau qui souffrit de la vie !
...

Les Fresques, 1908


Giboulées

Je vous vivrai, beau jour, allègrement. Je veux
Avec amour vous vivre
Pour plus que vous n'avez encore de ciels bleus
De rafale et de givre.
Je vous vivrai, beau jour, avec ma déraison
Et ma gorge altérée.
Ô beau jour, j'aurai frais délicieusement
Car vous êtes humide
Avec l'azur et l'eau de votre firmament
Grelottant et limpide...
Votre vent courroucé ou, peut-être, joyeux
Qui mène grand tapage,
Des pleurs de février me remplira les yeux
Et le cœur de nuage...
Je serai transportée, ô jour froid et brillant,
De votre force intense
Alors que, dans les airs, les bises s'embrouillant
Sifflent d’impatience...
...

Souvenirs d'enfance, II, Les lauriers sont coupées..., 1913


Soir de pluie

C'était un soir de pluie et de vague brouillard.
Un soir de romanesque et douce nostalgie.
Tendre et lasse, j'avais, pour contempler la vie,

Toute l'humidité du soir dans le regard.
Il flottait, remplaçant, sous le ciel, l'heure enfuie,
Ce chagrin véhément et si gonflé d'amour
Qui rentre dans les cœurs lorsque tombe le jour,
Et quand l'air est trempé par l'odeur de la pluie.

Or, mon corps se faisait immatériel,
Le silence mourait avec ma chevelure,
Et, dans moi, fléchissait mon âme amère et pure
Comme une feuille d'arbre où pèse l'eau du ciel.
...

Province et capucines, 1920


La vie

Je crus à la fierté d'un certain déshonneur,
Aux ferveurs de vermouth, aux rêves des lanternes
A ce rouge as d'amour, à ce riche as de cœur
Beau comme l'incendie, l'échafaud, les casernes…

J'ai chéri les printemps peints sur les murs des bars
Entre les miroirs purs et le bruit de fontaine
Aimé par les soirs doux, humectés de brouillard
L'absinthe au filtre vert qui secouait Verlaine.

Hélas, il fallait bien, dans d'étranges quartiers,
Confondre le couchant, les clairons, les oranges
La lueur des quinquets et la peine des Anges
Les cerfs-volants déchus et les clowns dédorés.

Il fallait bien vouloir ce désordre de la foule
D'affiches au cœur jaune et de louches clartés
Et la flûte dont l'âme inconsolable coule
Sur le seuil pluvieux des cirques désertés.
...

Pour un mauvais garçon, 1927


Au mauvais garçon

...
Ne surprendrai-je plus les jeux
De tes coupables rêveries
Dès que l'alcool met dans leurs yeux
Pour quatre francs de pierreries ?

Ne sentirai-je plus l'odeur
De ta cigarette méchante
Mais moins âcre que ta candeur
Et sans doute moins décevante ?

Devrai-je oublier la fraîcheur
De ta gorge si pécheresse,
Toi qui fus ma bête et ma fleur
Et la jungle de mes caresses ?
...

Pour un mauvais garçon, 1927

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